DISPERSION
Laetitia Bica est une artiste contemporaine qui place la recherche au cœur de son travail. Si son propos est avant tout de faire image, soit de donner à voir, de révéler, il est essentiel de considérer ses œuvres comme des boutures : chacune est la trace d’un processus créatif qui, d’hypothèses en expérimentations, questionne le rapport de l’artiste à son environnement naturel et humain.
Avec DISPERSION, Laetitia Bica mène sa recherche sur les bassins miniers du Nord de la France et de la Belgique en explorant trois pistes principales : celle de l’accumulation documentaire de traces iconographiques in situ, celle- avec Corentin Spriet, chercheur à l’UGSF 1, de l’interprétation de données théoriques et expérimentales par le travail sur l’imagerie scientifique au cœur des laboratoires de TISBio 2, et celle de la création plastique, proposée comme prolongement des résultats obtenus.
Sélectionnée pour la 10ème édition du programme Watch This Space, coordonné par le réseau transfrontalier d’art contemporain 50° Nord, Laetitia Bica, poursuivant avec cohérence une réflexion de longue date sur le paysage, s’empare des particularités biologiques propres aux terrains houillers pour formuler une hypothèse à la fois poétique et engagée. Partant de l’observation de la température élevée des sols sur les terrils, la plasticienne s’interroge sur la colonisation de ces écosystèmes particuliers par dispersion biologique d’espèces végétales exotiques. Ces graines, venues d’ailleurs, s’installent et se développent sur ces sols miniers, favorisant la diversité et engendrant un changement global. De même, l’artiste - s’adaptant ici à un nouveau système - va opérer avec humilité, véridicité et sensibilité la décentration essentielle lui permettant d’entrer dans le langage de l’autre, celui de la démarche scientifique.
Six mois durant, sillonnant la terre noire, la plasticienne part en quête de ce paysage en mutation puis recense, archive les traces de ce temps biologique lent mais en marche. Les prélèvements sur le terrain vont focaliser la plasticienne sur l’espèce Glaucium Flavum, ou pavot cornu jaune. Cette espèce, extrêmement toxique, a la particularité d’avoir été importée des pourtours méditerranéens par les mouvements de population, dans une symbolisation supplémentaire
de cette empreinte inéluctable qu’apposent sans discontinuer les hommes sur leur environnement.
Naît ensuite l’envie de faire exister cette idée de mouvement, de transformation, jusque dans les œuvres elles-mêmes. Laetitia Bica va alors adjoindre à sa recherche un workshop d’une semaine sur les lieux, avec un groupe d’enfants lesquels, respectant un protocole de travail d’une grande précision, vont mettre en scène des images qui questionnent le rapport de l’humain au paysage, qui disent l’appartenance de l’un à l’autre mais aussi son besoin de mesure, de contrôle, de modification, de possession.
In fine, dans les caves de TISBio, Laetitia Bica et Corentin Spriet vont allumer, des racines au pistil, toutes les cellules de l’infiniment petit grâce à la manipulation du microscope confocal. Par l’intermédiaire des images construites ensemble, un lien va émerger et permettre la création d’une zone de confluence dans les parlers, jusque-là isolés, de la plasticienne et du scientifique. En effet, la réalité révélée par le microscope est aussi éloignée de ce que peut percevoir l’œil humain que ne le serait, d’une hypothétique vérité, le langage sensible de l’artiste. Tout est question de lecture, d’interprétation. Pour Laetitia Bica, l’enjeu plastique devient alors également de rendre visible ces convergences entre biologie et art.
Polymorphe, à la croisée des arts visuels et de la biologie, ce nouveau projet place avec cohérence la plasticienne dans la continuité
des recherches menées à ce jour. Au centre de tout son travail, on trouve en effet la rencontre, le comment faire avec l’autre, comment être utile à l’autre. Projetant avec force, et un certain courage, ses graines vers une terre inconnue - cette fois les facultés scientifiques de l’université de Lille, Laetitia Bica a semé les bases d’une étude d’une grande richesse dans sa diversité.
Laurence Baud’huin
1 UGSF : Unité de Glycobiologie Structurale et Fonctionnelle de l’Université de Lille 2 TISBio : Traitement du signal et de l’image pour la biologie – Université de Lille. https://tisbio.wixsite.com/tisbio